Les Atemporels

Qu’il s’agisse d’oeuvres du vingtième siècle, du dix-neuvième, du dix-huitième ou encore plus tôt…

Qu’il s’agisse d’essais, de récits, de romans, de pamphlets…

Ces oeuvres ont marqué leur époque, leur contexte social, et elles sont encore structurantes dans la pensée et la société d’aujourd’hui.

La collection « Les Atemporels » de JDH Éditions, réunit un choix de ces oeuvres qui ne vieillissent pas, qui ont une date de publication (indiquée sur la couverture) mais pas de date de péremption. Car elles seront encore lues et relues dans un siècle.

La plupart de ces atemporels sont préfacés par un auteur ou un penseur contemporain.

© 2022. Edico

Éditions : JDH Éditions pour Edico

77600 Bussy-Saint-Georges

Imprimé par BoD – Books on Demand GmbH, Norderstedt, Allemagne

Préface de Jean-David Haddad

Adaptation de la traduction de Henry D. Davray par Clémentine Vacherie

Conception et réalisation couverture : Cynthia Skorupa

ISBN : 978-2-38127-261-0

ISSN : 2681-7616

Dépôt légal : avril 2022

PRÉFACE

Alors qu’en 1948, George Orwell faisait un bond de 36 ans en avant pour se projeter dans un monde dont beaucoup voient les fondations se poser aujourd’hui, c’est quelques décennies plus tôt qu’un autre Anglais, H. G. Wells, faisait un bond beaucoup plus spectaculaire puisqu’il avançait de quelque 800 000 années… mais c’est normal : il venait d’inventer, paginalement, bien entendu, la machine à explorer le temps dans son roman The Time Machine.

Le temps… on y a toujours pensé… le traverser, le faire avancer, reculer ou parfois l’arrêter. Le temps… Quelle existence a-til ? Pour les puissants comme pour les misérables, il produit le même verdict : chaque seconde écoulée nous éloigne de notre naissance pour nous rapprocher de notre mort. L’égalité dont nous faisons preuve devant son écoulement n’était probablement pas sans déplaire à H. G. Wells, socialiste du début du XXe siècle, candidat du Parti Travailliste à l’Université de Londres en 1922, qui a néanmoins vigoureusement contesté les excès du socialisme tel qu’il était appliqué en URSS par Staline. Dans The Time Machine, Wells est allé jusqu’à imaginer une société composée des « Eloïs » (qu’on peut rapprocher sémantiquement des « Elohims », les élus dans l’Ancien Testament, littéralement « ceux qui viennent d’en haut »), qui vivent paisiblement dans une sorte de grand jardin d’Éden, se nourrissant de fruits et dormant en hauteur, car sous terre vit une autre espèce descendant aussi des hommes, les « Morlocks », qui ne supportent plus la lumière à force de vivre dans l’obscurité. La nuit, ils vont et viennent à la surface en remontant par les puits, pour enlever des Eloïs dont ils se nourrissent, devenus ainsi du bétail à leur insu. L’espèce humaine aurait donc évolué en deux espèces différentes : les classes fortunées devenues les Eloïs oisifs, et les classes laborieuses piétinées devenues les Morlocks, brutaux et craignant la lumière.

Le temps aurait donc fait son oeuvre et aurait mené au bout l’exploitation de l’homme par l’homme chère à Karl Marx. Ainsi, on peut voir dans The Time Machine une transposition sur le plan biologique de la différenciation économique et sociale entre travailleurs et privilégiés, telle que décrite par Marx. La lutte des classes ne serait donc pas achevée 800 000 ans plus tard !

Dans The Time Machine, plusieurs fois adapté au cinéma, dont la dernière fois en 2002 par Simon Wells, arrière-petit-fils de H. G. Wells, le temps est à la fois un prétexte pour déplacer la lutte des classes et donc alerter… et il est aussi en quelque sorte un personnage à part entière, qui fascine, qui arbitre, qui transcende…

Le temps, il faut le dire, est une dimension que l’Homme n’arrive pas à agripper, si bien que certains génies, comme le père de la Science-Fiction moderne qu’est H. G. Wells, ont conçu, par la magie du livre, une machine à l’explorer. Dès notre enfance, nous apprenons à organiser les évènements les uns par rapport aux autres. La ligne du temps, ou frise chronologique, permet de reconstituer les moments clefs d’une journée, d’une semaine, et de visualiser leur succession temporelle. Puis nous apprenons que la durée correspond au temps qui s’écoule entre le début et la fin d’une activité ou d’un évè-nement. Mais le mot « Temps », bien qu’utilisé tous les jours, ne dispose d’aucune définition ! Pour donner une définition d’un mot, il faut utiliser d’autres mots qui ne découlent pas du terme à définir ; or, pour le temps, nous utilisons nécessairement les notions de chronologie, de temporalité, de passage ; il y a toujours référence à un « avant » et un « après » qui découlent directement du principe. En fait, inventer une machine à explorer le temps, ne serait-ce que dans le cadre d’un roman, permet in fine de définir le temps ! La fonction principale du Temps étant de produire de la durée. Notre tort est de confondre l’objet et sa fonction. Dire, par exemple, « le Temps passe » revient au même que de dire qu’un chemin chemine, or le chemin est destiné aux promeneurs pour cheminer. L’usage quotidien de l’expression « le temps s’accélère » est révélateur,non pas sur notre époque elle-même, mais sur le rapport que nous entretenons avec elle. Aujourd’hui, nos agendas sont saturés et nous sommes tous à courir, constatant que tout s’accélère, et c’est ainsi que nous nous disons : « Le temps passe de plus en plus vite ! » Mais cela était sûrement vrai aussi à l’époque de Wells, où tout s’accélérait, où la Révolution Industrielle battait son plein, les villes se construisaient pour aller chercher le visage qu’elles ont aujourd’hui.

Lire ou relire ce chef-d’oeuvre, c’est se projeter dans un temps où l’on essayait de penser le temps… bien plus qu’aujourd’hui, en définitive. En effet, à cette époque, Einstein débutait ses travaux. Et d’ailleurs, l’arrière-petit-fils de Wells a posé un clin d’oeil sur le sujet dans son film adapté du roman de son aïeul.

Malheureusement, aujourd’hui, l’humanité semble blasée, ne pensant qu’à défier le temps en se rajoutant péniblement quelques années d’espérance de vie. À l’époque de Wells, on rêvait encore de pouvoir voyager dans le temps, ne pas en être prisonniers, ce que nous avons fini par être, même en nous rajoutant quelques années de vie en plus. En physique, le temps est un paramètre à une dimension, il est représenté depuis Newton par une courbe, soit fermée, soit ouverte. Donc il est une ligne ou un cercle, c’est-à-dire qu’il est linéaire, allant de l’avant, ou cyclique, éternel recommencement. C’est avec Galilée qu’est apparu, pour la première fois, le temps comme grandeur physique fondamentale, et ce fut Newton, le premier, qui donna dans ses Principia une définition du temps de la mécanique, la faisant reposer sur le postulat suivant : « Le temps s’écoule uniformément, il est universel et absolu. » Sa durée est donc une succession d’instants liés à d’autres facteurs comme la distance et la vitesse dans l’espace. La représentation cyclique fut longtemps privilégiée, en raison notamment de la « sainteté » du cercle, la forme parfaite par excellence, mais elle ne fut pas retenue par les physiciens, car avec un temps cyclique, nous nous retrouvons face à des contradictions telles que des causes devenant leurs propres effets, et inversement. Pourtant, le concept de temps circulaire est retenu par les théoriciens des cycles. Qui ne sont pas, il faut le dire, en France surtout, dans les canons des modèles de pensée universitaire. Penser le temps circulairement revient à mettre un destin. Ce que fuit le cartésianisme. Fut donc retenue l’idée d’un temps linéaire, et notamment en vertu du principe de causalité. Le passé est intouchable, nous utilisons la notion d’évènements, tout évènement est l’effet d’une cause qui le précède. Ce principe interdit de pouvoir retourner dans le passé et nous ne pouvons pas nous extraire ni du temps ni de l’espace, nous ne pouvons qu’avancer. Mais la différence primordiale entre ces deux « objets » est que nous pouvons nous déplacer à l’intérieur de l’espace, aller et venir dans n’importe quelle direction, alors que nous ne pouvons pas changer notre place dans le temps. L’espace est donc le lieu de notre liberté ; le temps, la marque de notre emprisonnement. Et la machine à explorer le temps est donc une libération de la prison temporelle ! Inventée par un homme épris de liberté, comme beaucoup de littérateurs de son époque.

Jean-David Haddad

professeur agrégé de Sciences Économiques et Sociales,
éditeur et fondateur de JDH Éditions et Memoria Books

Bibliographie majeure de H. G. Wells

La machine à explorer le temps (The Time Machine
), plusieurs versions de 1888 à 1924, publication définitive

L’Île du docteur Moreau (The Island of Doctor Moreau, 1896)

L’Homme invisible (The Invisible Man, 1897)

La Guerre des mondes (The War of the Worlds, 1898)

Quand le dormeur s’éveillera (When the Sleeper wakes, 1899)
ou version révisée sous le titre The Sleeper Awakes, 1910

Les Premiers Hommes dans la Lune (The First Men in the Moon, 1901)

Miss Waters (The Sea Lady, 1902)

La Nourriture des dieux ou Place aux Géants
(The Food of the Gods and How It Came to Earth, 1904)

La Guerre dans les airs (The War in the Air, 1908)

La Destruction libératrice (The World Set Free, 1914)

Un rêve… une vie… (The Dream, 1924)

The Shape of Things to Come (1933)
Ce roman a été adapté au cinéma par Alexander
Korda et William Cameron Menzies sous le titre HG Wells' Things to
Come
(titre français : La Vie future) et Wells lui-même a collaboré
au scénario et à l’adaptation de ce film qui prévoit avec une
certaine exactitude le Blitz de Londres

Un homme averti en vaut deux (You Can't Be Too Careful, 1941)

I

Initiation

L’Explorateur du Temps (car c’est ainsi que nous l’appellerons pour plus de commodité) nous exposait un mystérieux problème. Ses yeux gris et vifs étincelaient, et son visage, d’ordinaire pâle, était rouge et animé. Dans la cheminée, la flamme brûlait joyeusement, et la lumière douce des lampes à incandescence, en forme de lis d’argent, se reflétait dans les bulles qui montaient, brillantes, dans nos verres. Nos fauteuils, dessinés d’après ses modèles, nous embrassaient et nous caressaient au lieu de se soumettre à regret à nos séants ; il régnait cette voluptueuse atmosphère d’après dîner où les pensées vagabondent gracieusement, libres des entraves de la précision. Et il nous expliqua la chose de cette façon – insistant sur certains points avec son index maigre – tandis que, renversés dans nos fauteuils, nous admirions son ardeur et son abondance d’idées pour soutenir ce que nous croyions être alors un de ses nouveaux paradoxes.

— Suivez-moi bien. Il va me falloir discuter une ou deux idées qui sont universellement acceptées. Ainsi, par exemple, la géographie qu’on vous a enseignée dans vos classes est fondée sur un malentendu.

— N’est-ce pas là entrer en matière avec une bien grosse question ? demanda Filby, raisonneur à la chevelure rousse.

— Je n’ai pas l’intention de vous demander d’accepter quoi que ce soit sans argument raisonnable. Vous admettrez bientôt tout ce que je veux de vous. Vous savez, n’est-ce pas, qu’une ligne mathématique, une ligne de dimension nulle, n’a pas d’existence réelle. On vous a enseigné cela ? De même pour un plan mathématique. Ces choses sont de simples abstractions.

— Parfait, dit le Psychologue.

— De même, un cube, n’ayant que longueur, largeur et épaisseur, peut-il avoir une existence réelle ?

— Ici, j’objecte, dit Filby. Certes, un corps solide existe. Toutes choses réelles…

— C’est ce que croient la plupart des gens. Mais attendez un peu. Est-ce qu’il peut exister un cube instantané ?

Je n’y suis pas, dit Filby.

— Est-ce qu’un cube peut avoir une existence réelle sans durer pendant un espace de temps quelconque ?

Filby devint pensif.

— Manifestement, continua l’Explorateur du Temps, tout corps réel doit s’étendre dans quatre directions. Il doit avoir Longueur, Largeur, Épaisseur, et… Durée. Mais par une infirmité naturelle de la chair, que je vous expliquerai dans un moment, nous inclinons à négliger ce fait. Il y a en réalité quatre dimensions : trois que nous appelons les trois plans de l’Espace, et une quatrième : le Temps. On tend cependant à établir une distinction factice entre les trois premières dimensions et la dernière, parce qu’il se trouve que nous ne prenons conscience de ce qui nous entoure que par intermittences, tandis que le temps s’écoule, du passé vers l’avenir, depuis le commencement jusqu’à la fin de notre vie.

— Ça, dit un très jeune homme qui faisait des efforts spasmodiques pour rallumer son cigare au-dessus de la lampe, ça… très clair… vraiment.

— Or, n’est-il pas remarquable que l’on néglige une telle vérité ? continua l’Explorateur du Temps avec un léger accès de bonne humeur. Voici ce que signifie réellement la Quatrième Dimension : beaucoup de gens en parlent sans savoir ce qu’ils disent. Ce n’est qu’une autre manière d’envisager le Temps. Il n’y a aucune différence entre le Temps, la Quatrième Dimension, et l’une des trois dimensions de l’Espace, peu importe laquelle, sinon que notre conscience se meut avec elle. Mais quelques imbéciles se sont trompés sur le sens de cette notion. Vous avez tous entendu ce qu’ils ont trouvé à dire à propos de cette Quatrième Dimension ?

— Non, pas moi, dit le Provincial.

— Simplement ceci : l’Espace, tel que nos mathématiciens l’entendent, est censé avoir trois dimensions, qu’on peut appeler Longueur, Largeur et Épaisseur, et il est toujours définissable par référence à trois plans, chacun à angles droits avec les autres. Mais quelques esprits philosophiques se sont demandé pourquoi exclusivement trois dimensions – pourquoi pas une quatrième direction à angles droits avec les trois autres ? – et ils ont même essayé de construire une géométrie à quatre Dimensions. Le professeur Simon Newcomb exposait celle-ci il y a quatre ou cinq semaines à la Société Mathématique de New York. Vous savez comment représenter la figure d’un solide à trois dimensions sur une surface plane qui n’a que deux dimensions. À partir de là, ils soutiennent qu’en partant d’images à trois dimensions, ils pourraient en représenter une à quatre s’il leur était possible d’en dominer la perspective. Vous comprenez ?

— Je pense que oui, murmura le Provincial.

Fronçant les sourcils, il se perdit dans des réflexions secrètes, ses lèvres s’agitant comme celles de quelqu’un qui répète des versets magiques.

— Oui, je crois que j’y suis, maintenant, dit-il au bout d’un moment, avant que son visage s’éclairât un instant.

— Bien ! Je n’ai pas de raison de vous cacher que depuis un certain temps, je me suis occupé de cette géométrie des Quatre Dimensions. J’ai obtenu quelques résultats curieux. Par exemple, voici une série de portraits de la même personne, à huit ans, à quinze ans, à dix-sept ans, un autre à vingt-trois ans, et ainsi de suite. Ils sont évidemment les sections, pour ainsi dire, les représentations sous trois dimensions d’un être à quatre dimensions qui est fixe et inaltérable. Les hommes de science, continua l’Explorateur du Temps après nous avoir laissé le loisir d’assimiler ses derniers mots, savent parfaitement que le Temps n’est qu’une sorte d’Espace. Voici un diagramme scientifique bien connu : cette ligne, que suit mon doigt, indique les mouvements du baromètre. Hier, il est monté jusqu’ici ; hier soir, il est descendu jusque-là, puis, ce matin, il s’élève de nouveau, et doucement, il arrive jusqu’ici. À coup sûr, le mercure n’a tracé cette ligne dans aucune des dimensions de l’Espace généralement reconnues ; il est cependant certain que cette ligne a été tracée, et nous devons donc en conclure qu’elle a été tracée le long de la dimension du Temps.

— Mais, dit le Docteur en regardant brûler la houille fixement, si le Temps n’est réellement qu’une quatrième dimension de l’Espace, pourquoi l’a-t-on considéré et le considère-t-on encore comme différent ? Et pourquoi ne pouvons-nous pas nous mouvoir çà et là dans le Temps, comme nous nous mouvons çà et là dans les autres dimensions de l’Espace ?

L’Explorateur du Temps sourit :

— Êtes-vous bien sûr que nous pouvons nous mouvoir librement dans l’Espace ? Nous pouvons aller à gauche et à droite, en avant et en arrière, assez librement, et on l’a toujours fait. J’admets que nous nous mouvons librement dans deux dimensions. Mais que direz-vous des mouvements de haut en bas et de bas en haut ? Il semble qu’alors, la gravitation nous limite singulièrement.

— Pas précisément, dit le Docteur. Il y a les ballons.

— Mais avant les ballons, et si l’on ne prend pas en compte les bonds spasmodiques et les inégalités de surface, l’homme est tout à fait incapable du mouvement vertical.

— Toutefois, il peut se mouvoir quelque peu de haut en bas et de bas en haut.

— Plus facilement, beaucoup plus facilement de haut en bas que de bas en haut.

— Et vous ne pouvez nullement vous mouvoir dans le Temps ; il vous est impossible de vous éloigner du moment présent.

— Mon cher ami, c’est là justement ce qui vous trompe. C’est précisément là que le monde entier est dans l’erreur. Nous nous éloignons incessamment du moment présent. Nos existences mentales, qui sont immatérielles et n’ont pas de dimensions, se déroulent au long de la dimension du Temps avec une vélocité uniforme, du berceau jusqu’à la tombe, de la même façon que nous voyagerions vers le bas si nous commencions nos existences cinquante kilomètres au-dessus de la surface de la Terre.

— Mais la grande difficulté est celle-ci, interrompit le Psychologue : vous pouvez aller, de-ci, de-là, dans toutes les directions de l’Espace, mais vous ne pouvez aller de-ci, de-là dans le Temps.

— C’est là justement le germe de ma grande découverte. Mais vous avez tort de dire que nous ne pouvons pas nous mouvoir dans tous les sens du Temps. Par exemple, si je me rappelle très vivement quelque incident, je retourne au moment où il s’est produit. Je suis distrait, j’ai l’esprit absent, comme vous dites. Je fais un saut en arrière pendant un moment. Naturellement, nous n’avons pas la faculté de demeurer en arrière pour une longueur indéfinie de Temps, pas plus qu’un sauvage ou un animal ne peut se maintenir à deux mètres en l’air. Mais l’homme civilisé est à cet égard mieux pourvu que le sauvage. Il peut s’élever dans un ballon en dépit de la gravité, et pourquoi ne pourrait-il espérer que finalement, il lui sera permis d’arrêter ou d’accélérer son impulsion le long de la dimension du Temps, ou même de se retourner et de voyager dans l’autre sens ?

— Oh ! ça, par exemple, commença Filby, c’est…

— Pourquoi pas ? demanda l’Explorateur du Temps.

— C’est contre la raison, acheva Filby.

— Quelle raison ? interrogea l’Explorateur du Temps.

— Vous pouvez par toutes sortes d’arguments démontrer que le blanc est noir et que le noir est blanc, dit Filby, mais vous ne me convaincrez jamais.

— Peut-être bien, répondit l’Explorateur du Temps, mais vous commencez à voir maintenant quel fut l’objet de mes investigations dans la géométrie des quatre Dimensions. Il y a longtemps que j’avais une vague idée d’une machine…

— Pour voyager à travers le Temps ! s’exclama le Très Jeune Homme.

— … qui voyagera indifféremment dans toutes les directions de l’Espace et du Temps, au gré de celui qui la dirige.

Filby se contenta de rire.

— Mais j’en ai la vérification expérimentale, dit l’Explorateur du Temps.

— Voilà qui serait fameusement commode pour un historien, suggéra le Psychologue. On pourrait retourner en arrière et vérifier par exemple les récits qu’on nous donne de la bataille de Hastings.

— Ne pensez-vous pas que vous attireriez l’attention ? objecta le médecin. Nos ancêtres ne toléraient guère l’anachronisme.

— On pourrait apprendre le grec des lèvres même d’Homère et de Platon, pensa le Très Jeune Homme.

— Dans ce cas, ils vous feraient certainement coller à votre premier examen. Les savants allemands ont tellement perfectionné le grec !

— C’est là qu’est l’avenir ! dit le Très Jeune Homme. Pensez donc ! On pourrait placer tout son argent, le laisser s’accumuler à intérêts composés et se lancer en avant !

— À la découverte d’une société édifiée sur une base strictement communiste, dis-je.

— De toutes les théories extravagantes ou fantaisistes… commença le Psychologue.

— Oui, c’est ce qu’il me semblait ; aussi, je n’en ai jamais parlé jusqu’à…

— La vérification expérimentale ! m’écriai-je. Allez-vous vraiment vérifier cela ?

— L’expérience ! cria Filby, qui se sentait la cervelle fatiguée.

— Eh bien, faites-nous voir votre expérience, dit le Psychologue, bien que tout cela ne soit qu’une farce, vous savez !

L’Explorateur du Temps nous regarda tour à tour en souriant. Puis, toujours avec son léger sourire, et les mains enfoncées dans les poches de son pantalon, il sortit lentement du salon, et nous entendîmes ses pantoufles traîner dans le long passage qui conduisait à son laboratoire.

Le Psychologue nous regarda :

— Je me demande ce qu’il va faire.

— Quelque tour de passe-passe ou d’escamotage, dit le Docteur.

Puis Filby entama l’histoire d’un prestidigitateur qu’il avait vu à Burslem : mais avant même qu’il eût terminé son introduction, l’Explorateur du Temps revint, et l’anecdote en resta là.

II

La machine